Selon les syndicats roumains, « le système éducatif doit prendre le relais et intégrer un grand nombre d'enfants et d'étudiant·e·s »
Publié:Suite à l'invasion militaire de l'Ukraine par la Fédération de Russie, qui a commencé le 24 février 2022, des millions de personnes, la majorité d'entre elles étant des femmes et des enfants, ont fui la zone de guerre pour se rendre dans les pays voisins. La plupart des personnes quittant l'Ukraine et cherchant refuge dans un autre pays passent par l'UE et d'autres pays voisins tels que la Pologne, la Roumanie, la Moldavie, la Slovaquie et la Hongrie. De nombreux syndicats de l'enseignement dans ces pays ont déjà exprimé leur solidarité avec le peuple ukrainien et sont intervenus pour soutenir les réfugié·e·s, en particulier les enfants et les jeunes.
Aujourd'hui, nous avons parlé à Alexandra Cornea de la FSLE, Ioana Voicu de la FSE « SPIRU-HARET » et Anca Sipos d'ALMA-MATER, trois organisations roumaines membres du CSEE, au sujet de leurs actions de soutien aux enseignant·e·s ukrainien·ne·s et aux réfugié·e·s arrivant dans leur pays.
En raison du conflit militaire en cours en Ukraine, la Roumanie connaît un afflux sans précédent de réfugié·e·s, dont la plupart sont des femmes et des enfants. Pourriez-vous nous dire quelle est la situation actuelle dans votre pays et quel est son impact sur le système éducatif ?
Alexandra Cornea: Du début de cette crise au 22 mars, à minuit, au niveau national, 518.643 citoyen·ne·s ukrainien·ne·s sont entré·e·s en Roumanie. Le flux de réfugié·e·s en Roumanie et en Moldavie se déplace rapidement vers l'Europe occidentale. La majorité de ces personnes (plus de 61%) ont déjà quitté la Roumanie vers d'autres destinations en Europe occidentale (Autriche, Allemagne, France, Espagne) en déclarant avoir des parent·e·s et des ami·e·s dans ces pays.
Selon les informations fournies par la police roumaine, sur le nombre total de réfugié·e·s restant en Roumanie, 31 385 sont des enfants, mais les données changent chaque jour. Par l'intermédiaire de l'Autorité nationale de protection de l'enfance, le gouvernement prépare une procédure d'enregistrement des enfants ukrainien·ne·s qui entrent en Roumanie sans parent·e ni tuteur·trice légal·e. Il·elle·s seront pris·e·s en charge par les services de protection de l'enfance des départements frontaliers. Les enfants ukrainien·ne·s qui arrivent en Roumanie non accompagné·e·s bénéficient de cette protection. Le gouvernement réglemente le statut des mineurs non accompagné·e·s en tant que citoyen·ne·s étranger·ère·s ou apatrides de moins de 18 ans, qui arrivent en Roumanie non accompagné·e·s. Une Task Force pour les mineur·e·s non accompagné·e·s a été mise en place en vue d'identifier rapidement les mesures les plus appropriées pour garantir leur protection. Des mesures ont également été prises pour assurer l'infrastructure administrative et les ressources humaines nécessaires pour assurer la protection des enfants réfugié·e·s d'Ukraine dans des situations aussi critiques.
Ioana Voicu: En effet, des groupes opérationnels spéciaux sont organisés dans chaque département et à Bucarest pour assister les mineur·e·s non accompagné·e·s. À Timisoara, une ville de l'ouest de la Roumanie, se trouve par exemple un groupe d'athlètes de 16 ans dont les parents sont encore en Ukraine. Il·elle·s ont été placé·e·s dans les dortoirs de l'Université et reçoivent tout ce dont il·elle·s ont besoin. Le gouvernement roumain a également adopté des mesures urgentes pour fournir une aide aux réfugié·e·s (au moyen d'une ordonnance/d’un décret d'urgence), y compris le droit de recevoir une assistance médicale gratuite dans le cadre du système national de santé roumain, l’accès à l'éducation, aux services spéciaux pour les personnes ayant des besoins spéciaux et les personnes âgées et aux transports, etc...
Anca Sipos: Nous avons des étudiant·e·s de la République moldave qui parlent russe ou ukrainien. Il·elle·s traduisent entre nous et le peuple ukrainien. Chaque université de Roumanie a accueilli des réfugié·e·s ukrainien·ne·s dans des logements disponibles sur les campus. Nos étudiant·e·s participent à des actions d'aide concernant la nourriture et d'autres choses dont les réfugié·e·s ont besoin. Les étudiant·e·s ukrainien·ne·s peuvent également poursuivre leurs études dans nos universités. À l'heure actuelle, nous ne savons pas de quels documents il·elle·s ont besoin pour poursuivre leurs études afin de rester. En outre, les universités essaient de contacter les sociétés commerciales pour trouver des lieux de travail pour ceux·celles qui veulent travailler.
Quelles mesures votre syndicat prend-il pour affronter ces problèmes? Que demanderiez-vous à votre gouvernement ?
Ioana Voicu: SPIRU-HARET a fait don de 20 000 € à la Croix-Rouge pour venir en aide aux réfugié·e·s ukrainien·ne·s. Nous avons également demandé au ministère roumain de l'Education de trouver des solutions pour l'éducation des enfants réfugié·e·s. En conséquence, le ministère de l'Éducation a publié des décrets et des dispositions spéciales pour fournir un soutien éducatif à l’ensemble des citoyen·ne·s (élèves, étudiant·e·s, doctorant·e·s, etc.) touché·e·s par le conflit militaire en Ukraine, stipulant que tou·te·s ceux·celles qui ont besoin de poursuivre leurs études doivent être accepté·e·s, d'abord en tant que « public », et après évaluation de leur niveau de connaissances ou s'il·elle·s présentent des documents pertinents, il·elle·s doivent être inscrit·e·s dans un niveau d'études correspondant à leurs connaissances et compétences. Il·elle·s ont également un logement gratuit dans les dortoirs scolaires, une allocation alimentaire, des fournitures scolaires gratuites, des vêtements et des livres. La santé des enfants ukrainien·ne·s sera surveillée dans les établissements médicaux des écoles et il·elle·s bénéficieront de conseils et d'une assistance spéciaux gratuits. Le ministère de l'Éducation fournit également une page Web contenant les informations nécessaires, y compris les commandes, les formulaires de demande, etc., traduits en ukrainien.
Anca Sipos: Au niveau local, chaque syndicat participe aux actions que j'évoquais précédemment. De notre gouvernement, nous exigeons de respecter nos lois et d'allouer 6% du produit intérieur brut à l'éducation. De cette manière, nous pourrions également soutenir les étudiant·e·s ukrainien·ne·s qui voudront étudier dans notre pays.
Alexandra Cornea: La FSLE (par le biais d'organisations affiliées dans les villes de Maramures, Suceava, Botosani, Cluj, Bucarest) a aidé les autorités frontalières avec des dons de vêtements, de lits, de nourriture et de médicaments, ainsi que de jouets et de fournitures pour les enfants. Des milliers d'enseignant·e·s et de bénévoles du personnel éducatif se trouvent chaque jour aux postes frontaliers, aidant à diriger le flux de réfugié·e·s, fournissant des informations autorisées et précises sur le transit par la Roumanie et sur les droits des réfugié·e·s dans notre pays. De plus, les dons en espèces de nos affilié·e·s ont été redirigés vers la Croix-Rouge roumaine et l'UNICEF Roumanie, car ces organisations ont des procédures et des canaux de soutien pour les personnes dans les zones de guerre que nous n'avons pas. Les hôtels et autres logements du syndicat dans les zones frontalières ont également été mis à la disposition des autorités pour accueillir les réfugié·e·s. Nos collègues ont hébergé des familles de réfugié·e·s dans leurs maisons.
Le principal problème à Bucarest et dans d'autres villes est que les écoles sont déjà surpeuplées par nos propres étudiant·e·s. La FSLE a rencontré le secrétaire d'État, M. Szekely, et nous avons convenu de commencer à identifier des places dans les écoles de Bucarest car si le conflit continue, le nombre d'enfants augmentera encore. Il y a des écoles qui peuvent inscrire 2 à 3 étudiant·e·s (j'ai personnellement aidé hier à inscrire sept étudiant·e·s dans cinq écoles), mais la question deviendra plus compliquée. Les principaux problèmes incluent également le manque d'enseignant·e·s connaissant l'ukrainien, l'évaluation du niveau d'éducation des enfants réfugié·e·s et le manque de manuels en ukrainien. Les autorités locales de Roumanie recherchent des enseignant·e·s réfugié·e·s ukrainien·ne·s et l'intention du ministère de l'Éducation est de les employer, mais pour le moment nous n'avons pas de règles et de règlements pour un tel emploi. Un autre problème est d'identifier tou·te·s les enfants réfugié·e·s car la majorité d'entre eux·elles ne se trouve pas dans les centres de réfugié·e·s : certains ont de la famille en Roumanie ou des ami·e·s ou ont simplement accepté de rester chez des volontaires roumain·e·s.
Comment le CSEE et les syndicats de l'enseignement d'autres pays pourraient-ils aider votre syndicat à relever ces défis ?
Anca Sipos: Nous demandons à l'UE d'allouer davantage de fonds à l'industrie agricole et alimentaire roumaine : ainsi, la Roumanie pourra fournir une partie des produits agricoles et alimentaires que l'Ukraine et la Fédération de Russie ont fournis jusqu'à présent. Entre les deux guerres mondiales, la Roumanie était le grenier à blé de l’Europe.
Ioana Voicu: Nous (notre fédération et les organisations affiliées) continuons à être activement impliqués dans l'aide aux réfugié·e·s aux frontières (points de douane du Nord mais aussi de l'Est, y compris Isaccea, où les réfugié·e·s traversent le Danube en ferry) et dans tout le pays, en leur fournissant nourriture, abri, vêtements, médicaments, produits de première nécessité, transport (de la frontière à l'aéroport). Nous faisons de notre mieux avec ce que nous avons dans les circonstances actuelles.
Alexandra Cornea: Je voudrais conseiller à nos collègues d'Europe occidentale d'être prêt·e·s à gérer l'inscription des enfants ukrainien·ne·s dans les écoles avec leur administration respective. Il·elle·s sont susceptibles de rencontrer des problèmes similaires aux nôtres. Il est évident que ce conflit ne sera pas résolu rapidement et qu'il aura un impact à long terme. C'est pourquoi il est crucial de créer un mécanisme d'identification des enfants, puis d'évaluer leurs compétences et de les inscrire dans les écoles et les universités dès que possible.
Les syndicats ont tout fait pour aider, mais il est clair que nous commençons à faire face à des problèmes structurels qui ne relèvent plus de l'aide d'urgence (comme la nourriture, les lits, les couvertures, les médicaments, etc.). Le système éducatif doit prendre le relais et intégrer un grand nombre d'enfants et d'étudiant·e·s. Durant cette période, il est crucial pour les syndicats d'avoir un dialogue avec le ministère de l'Éducation et de trouver les solutions juridiques et financières qui permettront de résoudre les problèmes que j'ai déjà évoqués plus tôt concernant l'inclusion des enfants réfugié·e·s dans l'éducation. Ainsi, toute pratique à cet égard créée par nos collègues d'autres syndicats de l'enseignement qui s'est avérée efficace peut nous être utile (par exemple, une base de données du CSEE ou une section dédiée sur le site web du CSEE). Le CSEE et d'autres collègues des organisations membres peuvent également nous aider en nous fournissant des formateur·trice·s ou une méthodologie de cours afin que nous puissions préparer les enseignant·e·s roumain·e·s à travailler avec des enfants réfugié·e·s.